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Michael Atlan — 5 avril 2011 à 0h00 — mis à jour le 5 avril 2011 à 12h46
http://www.slate.fr/story/36391/rester-pour-generique-fin
Il ennuie tout le monde. Rares sont ceux qui le regardent jusqu'au bout. Le générique de fin est le mal-aimé du film. Vaut-il mieux que cette déconsidération?
La plupart du temps, je vais au cinéma seul. Ma consommation étant un peu plus élevée que la moyenne, certains rites et petites manies ont alors émergé au gré des années: arriver (au moins) dix à quinze minutes avant le début de la séance annoncée, se placer ni trop près, ni trop loin de l'écran, bannir les bonbons, pop-corn et autres sucreries. Rien de très important: je suis seul et personne n'est là pour m'en tenir rigueur.
Mais comme ma vie sociale n'est pas vide au point qu'elle m'oblige à faire de ces expériences cinéphiles un sommet de solitude, il m'arrive d'être accompagné. C'est dans ces moments-là que ces petites manies, somme toutes inoffensives, revêtent un caractère légèrement obsessionnel et donc assez effrayant pour mes partenaires d'un soir ou d'une après-midi. Et c'est souvent une en particulier qui concentre l'attention: je refuse de sortir de la salle avant que le générique de fin ne soit complètement terminé.
Que j'aie aimé le film. Que je l'aie détesté. Que j'aie dormi les trois-quarts du temps que durait le film. Peu importe. Je reste jusqu'à la fin, jusqu'aux derniers logos, jusqu'aux derniers copyrights. Parfois, une fois la lumière rallumée, la personne avec moi me dit qu'elle va aux toilettes, qu'on se rejoint à la sortie ou accepte, non sans avoir manifesté son mécontentement plusieurs fois pendant les quelques minutes que durent le générique, de rester. Car, autant il est possible de convaincre quelqu'un que le pop-corn et les fonds de salles sont des hérésies cinéphiles, autant le générique de fin est une chose qui passe rarement.
Question d'ego et de syndicats
Et je peux le comprendre. Ceux qui, comme moi, ont par exemple dû endurer les 2h18 de Matrix Reloaded (2003) ont dû en plus attendre que défilent sur l'écran 1.943 noms pour sortir de la salle. La faute aux différents syndicats qui, au fil des années, ont imposé aux studios des règles de plus en plus complexes pour faire apparaître l'intégralité des personnes ayant travaillé sur le film, du stagiaire prothésiste au promeneur des chiens de la star. A titre de comparaison, Superman en 1978 comportait 457 noms alors que Qui veut la peau de Roger Rabbit, dix ans plus tard, en comptait 743.
En leurs temps, ces films battaient tous les records du genre. En 2006, quand Kevin Smith décide d'inclure l'ensemble de ses amis MySpace sur le générique de Clerks 2, vous vous retrouvez avec pas moins 163.070 «amis» qui défilent lentement en face de vous sans que vous ne puissiez faire grand chose. A part sortir de la salle respirer un grand bol d'air frais.
Soyons réaliste, à ce niveau, un générique de fin ne sert à rien. Des noms. De la musique. Un défilement monotone. Cela n'intéresse, au final, que les personnes qui y figurent. Question d'ego. J'ai beau tous me les faire depuis des années, j'avoue facilement que cela ressemble souvent à du masochisme. Parfois, on justifie l'attente en se disant qu'on a bien aimé un morceau de la BO et qu'on attend les crédits musique. Mais ce n'est qu'un prétexte. Ces petites manies gâchent la vie. On aimerait bien parfois s'en débarrasser mais c'est plus fort que vous: que ce soit un besoin compulsif de faire le ménage ou vouloir s'enfiler 10 minutes de générique inutile, c'est le même combat au quotidien.
Mais certains réalisateurs pensent à nous, obsessionnels du générique de fin ou déserteurs précoces. John Hughes par exemple. Dans La folle journée de Ferris Bueller (1985), le générique de fin est l'occasion de faire endurer au principal Rooney encore plus d'humiliation. Dans La vie en plus (1988), ce sont plusieurs dizaines de célébrités qui sont convoquées pour donner des idées de noms pour l'enfant à naître du couple incarné par Kevin Bacon et Elizabeth McGovern. Et vous avez le trio magique: Jackie Chan et ses cascades qui tournent mal, Will Ferrell et ses improvisations et blagues ratées, Pixar et ses clins d'oeil auto-référencés (la version Cars de Monstres et Cie par exemple). Ne pas rester assis devant les génériques à ces trois-là revient à zapper sur une autre chaîne deux minutes avant la fin d'un épisode de 24.
Une zone de liberté
Bref, le générique de fin est, pour bon nombre d'auteurs et d'acteurs, une sorte de défouloir, le moyen de faire passer un message, une private joke et de se laisser aller aux blagues potaches. Le générique de fin est leur petite zone de liberté après s'être contraint à la plus grande rigueur scénaristique: les blagues trop lourdes, trop vulgaires, trop incompréhensibles, les cascades trop périlleuses, c'est le générique de fin qui les offre et il n'est pas rare que ces quelques minutes soient meilleures que le film lui-même.
Certains vont même encore plus loin en l'utilisant comme un véritable élément narratif, l'exemple le plus évident étant Very Bad Trip et son diaporama de photos compromettantes qui, en seulement deux minutes, raconte toute une partie du film que vous aviez (un peu) imaginé... mais pas vu (car beaucoup trop trash), une sorte de flash-back ultime. Pour Sexcrimes en 1998, le réalisateur John McNaughton était même allé jusqu'à tourner des scènes supplémentaires pour permettre aux spectateurs perdus de se retrouver dans une histoire complexe et avare en explications trop évidentes.
Vous allez alors me dire que ce genre de génériques ne court pas les écrans et que, dans ces cas précis, vous n'avez pas besoin d'un masochiste des noms qui défilent pour vous forcer à rester dans la salle. C'est vrai. Mais quand ces scènes si drôles, originales et souvent provocantes se trouvent... après le générique, vous n'avez alors plus que vos yeux pour pleurer.
Dans son glossaire des clichés du cinéma Ebert's Little Movie Glossary, le critique américain Roger Ebert appelle ça des Monk's Rewards (les récompenses du moine) qu'il définit comme «une image ou une réplique surprenante qui suit immédiatement la fin du générique. Elles sont appelées ainsi car il faut une dévotion de moine pour rester assis le temps du générique et ainsi se les voir offrir». Dans le jargon hollywoodien, on appelle aussi ça un stinger.
Utilisés pour la première fois dans un film grand public en 1979 avec Les Muppets, le Film de Jim Henson dans lequel Animal finissait par dire aux spectateurs de rentrer chez eux, les stingers sont devenus très populaires dans les années 80, particulièrement dans les comédies. Dans Y a-t-il un pilote dans l’avion (1980), on pouvait ainsi voir le chauffeur de taxi abandonné par le héros au début du film dire «Je lui donne encore 20 minutes et c'est tout!». Dans La folle journée de Ferris Bueller, Ferris, dans sa douche, interpelait le public avec «Vous êtes encore ici? C'est fini. Vous pouvez rentrer chez vous. Allez!» Plus récemment, Ben Stiller alias White Goodman, le propriétaire arrogant de salles de fitness dans Dodgeball gratifiait les plus monacaux de ses spectateurs d'un hilarant et très gracieux «Fuck Chuck Norris».
Côté français, Alain Chabat, grand admirateur de la comédie américaine des années 80, avait lui aussi voulu remercier ses spectateurs dans Astérix, et Obélix, Mission Cléopâtre, avec une courte scène de Amonbofis (Gérard Darmon) appelant à l’aide, toujours coincé dans un mur après son épique combat avec Numérobis (Jamel Debbouze).
Là aussi, les plus sceptiques argueront qu'ils n'ont pas manqué grand chose. Certes. Ceux qui ont manqué le stinger du Secret de la pyramide en 1985 pourraient ne pas en dire autant. S'il n'était pas essentiel à la compréhension de l'histoire, il éclairait la production Spielberg d'une lumière très agréable, voire carrément jouissive.
Deux minutes d'introspection avant l'eurodance
C'est une chose que les studios Marvel ont très bien compris: depuis 2006 et leur X-Men, l’Affrontement final, ils ajoutent à leurs films des scènes post-générique qui, à travers le monde, font frissonner (et patienter) de bonheur tous les fans de super-héros. De l'apparition de Nick Fury des Avengers (Samuel L. Jackson) à la fin de Iron Man au marteau de Thor à la fin de Iron Man 2, Marvel a bien compris l'intérêt de ces petites scènes, liant l'ensemble de leurs films les uns avec les autres et causant, par la même occasion, un bouche à oreille des plus bénéfiques dans une communauté toujours prompt à faire passer ce genre de petits mots: le fameux «Surtout ne pars pas à la fin...».
Ce fameux petit conseil, j'aimerais pouvoir le prodiguer aussi souvent que possible. J'aimerais même parfois le hurler à ces dizaines, ces centaines de spectateurs pressés qui désertent la salle prématurément et m'obligent à me lever de mon siège pour les laisser sortir de ce qui — parfois — donne l'impression d'avoir été la pire expérience de leur vie. Car, même sans ces petits ou grands artifices, le générique de fin est une expérience en soi.
Que le film soit bon ou non, il permet de digérer l'intensité des images que les yeux ont absorbées deux heures durant. Il permet quelques minutes de réflexion et d'introspection sur ce qui est, il ne faut pas l'oublier, une œuvre d'art, avec toute la sensibilité et les émotions que cela inclut.
Quand je sors d'un film, je ne sors pas d'un rendez-vous avec mon banquier — même si, ça aussi, peut être riche en émotion. Le générique de fin peut même, dans certains cas, aider à mieux comprendre un film, à mieux saisir ses enjeux, son thème, sa mélancolie. Et là, le choix de la musique est primordial. Que l'on ait aimé ou non le Shutter Island de Martin Scorsese, difficile, par exemple, de ne pas succomber à la tristesse extrême qui se dégage du morceau «This Bitter Earth/On The Nature of Daylight» de Max Richter et Dinah Washington et donc, par la même occasion, saisir un peu mieux le calvaire moral de Teddy Daniels, le personnage incarné par Leonardo DiCaprio.
Quand un film vous a vraiment bouleversé, l'expérience est presque nécessaire, voire vitale. Elle l'est pour moi. Je n'ai pas envie de me retrouver dans une rue surpeuplée ou un centre commercial crachant de l'eurodance dans ses enceintes immédiatement après avoir assisté à un spectacle qui m'a brisé le cœur et mit les larmes aux yeux. Le générique de fin sert à ça. A respirer. A réfléchir. A pleurer éventuellement. A continuer de sourire même.
---- THE END ----
SCENARIO ET REALISATION: Michael Atlan
PRODUCTION: SLATE.FR
AVEC, PAR ORDRE ALPHABETIQUE:
Jim Abrahams
Kevin Bacon
Jackie Chan
Leonardo DiCaprio
Richard Donner
Roger Ebert
Jon Favreau
Will Ferrell
Jim Henson
John Hughes
Samuel L. Jackson
John Lasseter
Barry Levinson
Elizabeth McGovern
John McNaughton
Todd Phillipps
Brett Ratner
Max Richter
Martin Scorsese
Steven Spielberg
Kevin Smith
Ben Stiller
Andy et Larry Wachowski
Dinah Washington
Robert Zemeckis
David Zucker
Jerry Zucker
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La vidéo devient-elle un médium majeur pour
l’Art Contemporain ?
La question n’est pas nouvelle depuis qu’au milieu des années 60, l’Art vidéo a fait son apparition avec les travaux pionniers de Nam June Paik (1932-2006), américain venant de la Corée du Sud, d’un autre américain Bill Viola (né en 1951) et de Marina Abramovic (née en 1946), performeuse serbe. L’Art vidéo prendra son essor vers 1970, lorsque le traitement numérique des images apparaît pour éclore en 1990 avec la popularisation des supports digitaux.
Qu’en est-il de l’Art contemporain ? Se libérant des contraintes de la représentation d’une certaine réalité visuelle, l’Art contemporain se veut, presque essentiellement, conceptuel, c'est-à-dire qu’il projette de représenter ce que les méandres de la pensée élaborent. Le réel nous échappe, la science elle-même a du mal à le définir, l’art s’interroge alors à son sujet de sorte que l’artiste se concentre sur l’intellect qui, en le percevant, le crée. Devenu créateur de la réalité telle qu’il la voit, il nous invite à entrer dans sa vision. L’œil de la caméra qui détermine les champs de la prise de vue devient alors surpuissant d’autant que dans la salle obscure, le spectateur est tout entier enveloppé, presque soumis. L’art n’est plus celui qui se fonde sur l’esthétique des éléments (objets, êtres vivants, paysages, etc.), mais celui qui s’intéresse aux concepts et aux idées.
Malheureusement, l’artiste contemporain ne disposait que des outils classiques pour transcrire sa pensée : peinture, sculpture, dessins, reproductions mécaniques. Il du « inventer » d’autres moyens d’expression. C’est ce qu’il fait en réalisant des « montages », des installations dans lesquelles l’espace est mieux rempli : ce sont à la fois des sculptures, des formes fixes ou en mouvement, des couleurs, des effets. Ce sont aussi des éléments temporisés : une installation peut se détruire ; elle a une durée de vie qui peut être imposée, et peut même se compléter par des émissions de lumière, d’odeurs ou de sons. L’art contemporain sollicite alors beaucoup plus de récepteurs sensoriels que lors des représentations antérieures. Le spectateur peut même parfois toucher ces installations, voire contribuer à leur élaboration, voire à leur destruction. Il n’est plus un simple voyeur, c’est un acteur qui participe à la construction de l’œuvre.
Mais la vidéo dans tout cela ?
Se référant à Marcel Duchamp, un des fondateurs de l’Art conceptuel avec ses ready-mades (vers 1913), Nam June écrit en 1975 : « Marcel Duchamp a tout fait, sauf la vidéo, il a fait une grande porte d’entrée et une toute petite porte de sortie. Cette porte-là, c’est la vidéo. C’est par elle que nous pouvons sortir de Marcel Duchamp. »
Par son polymorphisme, la vidéo est l’expression synthétique de ce que peut englober une installation, permettant dans un temps prédéterminé de conceptualiser une idée. Alors, c’est comme le cinéma ? Presque, mais pas tout à fait, car au cinéma il y a toujours une trame narrative modulée par divers effets (climax, acmé, apogée, etc.), qui raconte une histoire pour susciter une émotion. Dans les vidéos artistiques, la trame narrative n’est pas indispensable, l’image animée sert, par elle-même, à procurer l’émotion et/ou la réflexion. C’est ce ressenti qui est essentiel, et non plus le beau : « le mauvais goût c’est le rêve d’une beauté trop voulue » pense Martial Raysse, peintre-cinéaste français né en 1936.
Comme devant une peinture, le spectateur visionnant une vidéo « se raconte » lui-même l’histoire, mais d’une manière personnelle, plus complète, dans un laps de temps prédéterminé.
L’Art contemporain permet donc d’aborder des sujets extrêmement variés par divers moyens, dont la vidéo qui peut « augmenter » (amplifier) ces moyens. En effet, comme le soulignait Bill Viola, le vidéaste dispose d’une palette digitale aux possibilités pratiquement infinies qui vont de la couleur aux grains en passant par la texture d’images, de sons et de mouvements. Il ajoutait, en 1980 : « No beginning / No end / No direction / No duration – Video as mind » : la vidéo comme est l’esprit. C’est pourquoi ce support est si populaire dans les écoles d’art. André Bazin disait que le cinéma d’auteur « substitue à notre regard un monde qui s’accorde avec nos désirs ». En forte opposition avec le cinéma commercial ou avec la télévision, pour la majorité des artistes vidéastes, il s’agit de commuer aux images de la société du spectacle (ex : la téléréalité) les images d’une quête métaphysique qui questionne l’existence des choses : Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? Pour eux, il faut susciter une perception active plutôt que la simple vision passive. Cela répond parfaitement à la définition de l’art conceptuel pour lequel le spectateur est le propre acteur d’une œuvre.
C’est également Bill Viola qui pense que la vidéo « sculpte le temps, elle ne l’arrête pas, elle le déroule ». C’est le seul moyen direct pour faire prendre conscience du facteur temps dans l’art. Le Lion d’Or de La Biennale d’Art Contemporain de Venise 2011 a été décerné à l’américain Christian Marclay pour sa vidéo de 24 heures « The Clock » alors que le Lion d’Argent de cette même Biennale a été attribué en 2013 pour « Grosse Fatigue », une vidéo de 13 minutes de la jeune Française Camille Henriot (née en 1978). À travers ces deux exemples, on perçoit facilement les possibilités exceptionnelles (voire uniques) qu’offre la vidéo pour sculpter le temps. Voir les vidéos : https://youtu.be/xp4EUryS6ac, et https://youtu.be/bX5sm33JNLA
A La Biennale 2017 « Viva Arte Viva », la commissaire française Christine Macel fait la part belle aux vidéos présentées par de nombreux jeunes artistes parmi les 120 présents. Toutes ces vidéos sont plus analytiques que narratives. Rien ne se passe au cours du déroulement de la projection, ce sont des histoires sans fin qui campent une situation, une attitude, renvoyant aux spectateurs le soin d’en tirer ou non profit. Les images ne semblent pas toutes particulièrement soignées. Mais c’est là qu’il y a illusion, car, comme dans toute expression artistique, il faut interpréter, transcender. C’est ce que l’on trouve déjà dans les films minute d’Alexander Kluge tournés dans les années 1990 et de nouveau montrés à la Fondation Prada à Venise, films qui n’ont pas de chute. (Qu’en penseraient les actuels jurys de concours ?).
Fortement présent aux divers salons artistiques, la vidéo, même celle qui utilise des moyens conventionnels est reconnue comme un médium artistique à part entière.
« Lake Valley » de Rachel Rose (Américaine née en 1986) qui a présenté à La Biennale un dessin animé tiré d’images anciennes recouvertes de collages qui donne une texture particulière à cette vidéo de 8 minutes, poétisant un conte moderne. Cliché A. Balny. Voir la vidéo : https://youtu.be/NajbdQoPzN8
Elle se fait également mémoire pour les présentations éphémères. Dans les importantes expositions artistiques actuelles, beaucoup d’installations imposantes ne seront pas reconstruites après démontage. Cet aspect transitoire est par ailleurs fascinant. Toujours à La Biennale de Venise, Christian Boltanski représentait la France en 2011 avec une installation « Chance » traitant de la réflexion sur la fuite du temps en recourant à l’outil numérique associé à d’autres moyens mécaniques. L’installation a été démantelée à la fin de l’exposition. Ainsi, il assume plus directement le fait que son art n’a pas vocation à transmettre des objets, mais à transmettre des idées. Seules en reste les captures cinématographiques, simple souvenir ?
« Chance » installation de Christian Boltanski qui représentait la France à La 54e Biennale de Venise (2011). Dans une armature métallique, type échafaudage, un film sans fin figurant des nouveau-nés se déroule. Œuvre dynamique, le spectateur peut en arrêter la course et ainsi tenter sa chance en stoppant la fuite du temps. Les images qui défilent sont une partie essentielle et structurelle de cette installation. Cliché A. Balny. Voir sur le site du CAMAP la vidéo de 2012 « Chance »
Le problème est encore plus aigu lorsque l’installation est dématérialisée, n’étant qu’une posture. Toujours à La Biennale de Venise, cette année, le Lion d’Or a été décerné à l’allemande Anne Imhof (née en 1978) pour « Faust » où, dans un espace limité (le Pavillon allemand), les performeurs se déplacent comme des robots, le regard vide.
« Faust » de l’Allemande Anne Imhof, Lion d’Or à La 57e Biennale d’Art Contemporain de Venise (2017) décerné pour « une installation puissante et dérangeante qui soulève des questions urgentes sur notre époque ». La vidéo mémorisera cette performance.Cliché A. Balny. Voir la vidéo : https://youtu.be/5Os-yZoRTiU.
Il en a été de même en 2013 lorsque le Britannique Tino Sehgal a été primé pour une œuvre sans titre basée sur l’échange entre un groupe d’acteurs et les visiteurs. Seules les images vidéo pourront enregistrer ces rencontres dans lesquelles les gestes et les sons interviennent et interagissent. Voir sur le site du CAMAP la vidéo de 2013 « Le Lion d’Or ».
Si la vidéo est un outil de mémoire, c’est aussi un moyen pour analyser le travail des artistes afin de mieux le comprendre. Cette pédagogie semble essentielle pour l’art conceptuel actuel souvent difficile à cerner et à interpréter. « A permanent space has also been created in both exhibition venues for the Artist’s Practices Project,a series of short videos made by the artists about themselves and their way of working. ..a new video has been premiered every day on La Biennale website, giving the public the opportunity to become familiar with the participating artists… » (Un espace permanent a aussi été créé dans les deux lieux d’exposition pour le « Projet des Pratiques de l’Artiste » où une série de courtes vidéos faites par les artistes eux-mêmes sur leur façon de travailler est montrée…chaque jour, une nouvelle vidéo est mise sur le site web de La Biennale, donnant au public l’opportunité de se familiariser avec la démarche créatrice des artistes participants.) précise Christine Macel, commissaire de l’actuelle Biennale. La vidéo devient donc indispensable, faisant partie intégrante de la création de chaque artiste, même si ce n’est pas leur moyen d’expression de prédilection.
L’utilisation du média vidéo pose cependant trois problèmes majeurs : que considère-t-on comme œuvre originale ? Quelle est sa durée de vie ? Regarde-t-on toujours totalement une vidéo artistique ?
Les œuvres de l’esprit mécaniquement reproductibles sont, théoriquement, protégées par les droits d’auteur. Les réalisations numériques entrent dans cette catégorie, mais, elles sont, par nature, duplicables et modifiables à l’infini, c'est-à-dire "détournables" de leur expression première. En théorie, ces œuvres dérivées dépendent de la propriété intellectuelle de l’œuvre première, et l’auteur de l’œuvre seconde doit demander l’autorisation à l’auteur de l’œuvre première, avant diffusion. Différents décrets encadrent les productions audiovisuelles patrimoniales, mais, qu’en est-il du foisonnement des vidéos dérivées et des plagiats qui encombrent YouTube et les plateformes des réseaux sociaux, avec cette notion d’images partagées ? « Internet a changé l’économie des images » souligne André Gunthert (L’image partagée, Textuel, 2015)
Le second problème concerne la durée de vie des vidéos. Elle dépend directement des supports et de l’usage que l’on en fait. Un DVD se conservera entre 30 et 100 ans (valeurs estimées) selon son utilisation. « …ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe » écrivait d’une façon prémonitoire Paul Valéry en 1928. Le manque d’expérience dans le domaine est patent, mais nous serons peut-être loin des peintures qui gardent leur éclat durant plusieurs siècles. C’est pourquoi beaucoup de vidéos sont périodiquement recopiées sur des supports neufs. « Que les patrimoines soient éphémères est un problème pour une tradition occidentale qui, de Quatremère de Quincy à Hannah Arendt, a vu dans la permanence et la conservation des œuvres d’art la garantie d’une cohésion du monde humain. Et ce problème ressurgit avec une acuité nouvelle à l’époque contemporaine, dans la mesure où les œuvres sont aujourd’hui conservées sous une forme numérique qui n’échappe pas à l’érosion du temps. » (Gaëlle Périot-Bled, dans « De la conservation au processus. L’efficience du numérique » Patrimoines éphémères, 01, 2014)
La question subsidiaire que l’on est en droit de se poser est celle-ci : dans un siècle, comment considérera-t-on l’Art contemporain des années 2000 tel que nous l’entendons actuellement ? Les vidéos, si elles sont toujours lisibles, permettront-elles de fournir, alors, des éléments de réponses ?
Le troisième problème concerne la durée. Dans l’exemple donné précédemment de la vidéo de Marclay, « The Clock » qui se déroule en 24 heures, quel est le spectateur qui a pris le temps de la visionner en totalité, même si, dans le lieu d’exposition, des canapés profonds étaient ménagés ? Lorsqu’un spectateur admire une peinture, il peut en percevoir toute sa signification en quelques secondes et en être ému. La temporisation est également une des caractéristiques de l’Art contemporain : les performances se produisent pendant plusieurs heures, comme pour « Faust » d’Anne Imhof. On se rapproche de l’art de la scène (cinéma, théâtre, opéra, concert, etc.), mais avec une différence essentielle : dans les arts de la scène, le spectateur regarde le spectacle dans sa totalité (même s’il dure longtemps) alors qu’il ne regarde généralement pas la totalité de la performance (ni de la vidéo qui en rend compte) pour être renvoyer à son émotion et aux questionnements qu’ont suscités l’œuvre. Ceci est identique pour les vidéos artistiques : dans une exposition consacrée à ce médium, il faudrait souvent plusieurs jours pour les visionner toutes en entier. Le problème de la durée est parfois traité différemment, comme dans l’actuelle exposition au musée de Sète « Un chef-d’œuvre, une exposition » ou un seul tableau du Greco est montré : « L’Immaculée Conception » de la chapelle Oballe (Tolède). Des canapés profonds ont également été installés, et on peut admirer l’œuvre aussi longtemps que l’on désire. En parallèle plusieurs vidéos documentaires permettent de situer et d’expliquer cette peinture : c’est une autre fonction qu’a l’image animée de servir l’Art, même si celui-ci n’est pas contemporain.
Claude BALNY
CAMAP Montpellier, septembre 2017
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« Dans ce qui est dans l’amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende, s’il veut retrouver sa nécessité » écrivait Antonin Artaud dans les années 30 (Antonin Artaud « Le théâtre et son double », Folio Essais, Gallimard, 1964). Il nous faut ajouter que le vidéaste doit, de plus, rendre ce que le spectacle vivant donne.
C’est toute l’ambiguïté des spectacles filmés qui n’ont pas été conçus pour cela par leurs auteurs. Contrairement aux films ou aux pièces télévisuelles spécialement scénarisées pour une transmission par l’image, le spectacle vivant, par essence, est un mode d’expression complexe, car animé, sonorisé, décoré, temporisé qui est, à chaque représentation, original.
Qu’en reste-t-il, une fois filmé ?
Le plus simple, pour filmer un spectacle est de faire un plan-séquence large fixe et d’enregistrer l’intégralité comme si la caméra était à la place d’un spectateur. C’est certainement la plus mauvaise solution, car la caméra n’a pas l’émotion du spectateur qui, lui, n’est jamais un récepteur inactif, mais un être pensant ayant un cerveau toujours actif et un œil en perpétuel mouvement.
Si un spectacle entier doit être restitué par l’image, les réalisateurs exploitent les différents plans propres au cinéma (rapprochés, moyens, gros plans, etc.) qu’ils dynamisent via des zooms et des travellings. La perception est alors toute différente de celle du spectateur en salle, car le réalisateur impose sa vision personnelle du spectacle, et le message s’en trouve déformé, voire orienté. Artaud disait même que le cinéma « qui nous assassine de reflets, qui filtré par la machine, ne peut plus joindre notre sensibilité ». C’est évidemment un jugement excessif qui a évolué, mais dans lequel la notion de filtre reste d’actualité.
Dans leur livre, J.L. Comolli et V. Sorrel (« Cinéma, mode d’emploi », Verdier, 2015) notent que dans un spectacle, le champ visuel ordinaire d’amplitude d’environ180° n’est pas cadré par la machine optique qu’est l’œil alors que « le cadre entre en jeu quand le spectacle est filmé ou télévisé pour être retransmis… Un pan de non-visible vient jouer sensiblement autour de la portion filmée du monde visible.» Dans un spectacle vivant, par la proximité avec les acteurs, nous sommes obligatoirement dans le spectacle, y participant par notre présence, alors que pour un spectacle filmé, nous sommes, de fait, simplement spectateurs. On sait que la réaction de la salle est déterminante pour le jeu des acteurs et un dialogue silencieux s’établit, La topographie du spectateur n’est pas non plus la même, elle est échangeable pour un spectacle vivant : si on change de place, on change de perspective. C’était, au XIXe siècle, la fonction essentielle du promenoir dans les théâtres parisiens. Pour un spectacle filmé, l’écran déterminant le champ obligatoire, ces options n’existent pas. Le spectateur devient alors aliéné soulignent J.L. Comolli & V. Sorrel. Il n’y a plus cette liaison magique entre acteur et spectateur.
La notion de filtre évoquée plus haut, est certainement liée aux mécanismes d’accès à la conscience tels qu’ils ont été définis par Jean-Pierre Changeux dans ses différents ouvrages traitant du cerveau et de l’art (voir P. Boulez, J.P. Changeux, Ph. Manoury « Les Neurones enchantés », Odile Jacob (2014) & J.P. Changeux « La beauté dans le cerveau », Odile Jacob (2016)). Aussi bien pour la perception visuelle qu’auditive, nos organes des sens captent des informations et les transmettent au cerveau, et tout particulièrement au cortex cérébral, qui est capable de constituer une image mentale de l’objet sonore ou visuel. On ne sait pas encore distinguer entre la perception (auditive ou visuelle) et leur représentation mentale. La neurophysiologie ne nous renseigne pas encore pourquoi, en terme cognitif, la perception en salle est différente de celle devant la télévision. Mais ce que l’on sait, c’est qu’il y a une différence et que diverses zones du cerveau sont impliquées. Par résonance magnétique fonctionnelle (RMf), il a pu être démontré que l’activité intrinsèque du cerveau est fortement modulée par l’environnement extérieur qui varie selon que le sujet est en état de veille ou de sommeil. Il est suggéré que chez le sujet éveillé l’activité cérébrale de base peut prendre des formes de vagabondage mental. Pour éviter que de tels phénomènes se produisent lors du visionnage d’un spectacle enregistré, le vidéaste doit donc en tenir compte, en évitant au sujet la monotonie qui engendre l’endormissement et la perte d’attention.
Dans un spectacle en salle, c’est le cerveau qui, via ses capteurs sensoriels (ouïe, vue) « zoome » différents éléments scéniques, alors que dans le spectacle cinématographié, donc « reconstitué » c’est le réalisateur qui, via le caméraman et le montage, réalise cette démarche.
Il y a donc un détournement de la perception entraînant des ressentis différents.
Le problème est, en outre, tout autre, lorsque le spectacle retransmis est tronqué, « remonté » par le cinéaste. Dans ce cas, ce n’est plus le spectacle que nous percevons, mais un reportage sur un spectacle, qui a sa valeur émotive propre, certes, mais qui n’a plus ni la même poésie ni la même relation entre l’œuvre originale et le spectateur.
Ce sont les enjeux de l’information télévisuelle qui rapporte en 30 secondes un spectacle d’une heure, tout comme ceux des bandes-annonces des films où l’on ne retient que quelques phrases « sensationnelles », sans langage structuré qui est la base même de notre compréhension. N’oublions pas que c’est la mise en scène qui fait le théâtre, beaucoup plus que la pièce écrite ou parlée. C’est ici tout le paradoxe de la danse qui, sans langage verbal, expose des états de conscience clairs et précis.
Toujours par RMf, il a été montré qu’au réseau principal d’activation du cerveau s’ajoutait l’activation d’un autre réseau appelé exécutif. Il y a donc alternance d’épisode de « rêve éveillé » et de concentration active. Physiologiquement parlant, il est impossible d’avoir très longtemps une concentration active, mais pour faire passer un message artistique ou cognitif, il appartient au réalisateur de maintenir le plus longtemps possible cet état, tâche difficile lorsque les spectacles sont longs tels certains opéras ou films contemporains.
Le problème de la perception est donc complexe, car, indéniablement, il se réfère aux acquis (culturels, sensitifs ou autres). Ceci a été démontré par RMf. La même information structurale (image spécifique) est codée par des neurones des cortex occipitaux qui font référence soit au monde extérieur (l’environnement), soit au monde intérieur (la mémoire). Nous touchons là à la notion de réalité imagée qui est directement tributaire du monde extérieur.
Nous voyons donc que l’émotion suscitée par un spectacle vivant est dépendante de son mode de transmission : directe en salle de théâtre, cinématographique en salle obscure ou sur écran de télévision. Pour simplifier, on peut tout à fait concevoir qu’un spectacle sera différemment apprécié selon son mode de transmission.
Le vidéaste, même amateur, devra tenir compte de ces considérations qui s’appuient de plus en plus sur des expériences neurophysiologiques qui tentent de rationaliser et d’expliquer les réactions qu’a une personne devant un spectacle que celui-ci soit animé ou non. C’est tout le défi qu’il y a à « restituer » par l’image une œuvre d’art en ménageant toute l’émotion qu’elle génère.
Claude Balny, 7 février 2017
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Notes sur l’analyse des images, préambule à leur interprétation
L’interprétation des images est un exercice ancien. Les images religieuses (peintures, icones, sculptures, architecture) sont parmi les premières qui voulaient faire sens : elles supposaient une lecture symbolique précise. Dans les images des arts primitifs, préhistoriques (peintures rupestres) ou issues de civilisations anciennes (Egyptiennes, Grecs, Indiennes, Mayas, Aztèques, etc.), les connaissances historiques aident à la compréhension. C’est le domaine de l’anthropologie esthétique qui explicite la forme et le fond. Dès qu’un individu regarde une image : tableau, photo, affiche, images animées, spontanément il réalise inconsciemment un travail analytique en se posant la question : « qu’est-ce que cela veut dire ? ».
1. Analyse iconographique
L’analyse iconographique systématique est une méthode relativement récente : c’est à l’Université de Vienne, en 1853 que s’est ouverte la première chaire mondiale d’histoire de l’art moderne. Un contexte riche s’est alors internationalement développé pour la compréhension des images grâce à la mise en place d’outils descriptifs, d’un vocabulaire adapté et à sa propension à l’extrapolation.
Analyser une image fixe ou animée, c’est l’interroger, lui poser des questions : que dit-elle ? Comment ? Pourquoi ?
Les grilles d’analyse peuvent être nombreuses selon le type d’interrogations que l’image suscite. L’historien de l’art traitera du style du document. Le sémiologue s’intéressera au sens de l’image, aux significations possibles de ses composants. L’historien replacera l’œuvre dans la chronologie du temps : sa datation. De cela découle trois étapes de la grille d’analyse : la description (exploration des composants, harmonies, contrastes, etc.), l’évocation du contexte, et, enfin, l’interprétation. On prend alors en compte la technique, la stylistique, la thématique, que l’image soit fixe ou animée, que ce soit une photo ou une peinture, la projection d’un film argentique ou d’un film numérique
2. Spécificité des images en mouvement.
En fait, l’analyse détaillée des images en mouvement est très complexe car elle pose les problèmes spécifiques qui sont de l’ordre de la nature du vecteur (film, DVD, télévision, nature de l’écran de visualisation), du continuum et de la durée. Il faut systématiquement interroger le contexte iconographique, c’est-à-dire les liens et les juxtapositions sans oublier le son qui est une partie intrinsèque de l’œuvre (Réf. 1). « Le grand danger des images mobiles est de les traiter par des arrêts sur images, c’est-à-dire de rendre fixe ce qui était mobile en occultant la temporalité ». (Réf. 2) Cette opinion n’est pas partagée par tous les spécialistes. Certains considèrent « qu’il est indéniable pourtant que c’est à partir de la possibilité de cet arrêt (sur image) que l’objet film devient pleinement analysable…c’est bien à partir des éléments repérables dans l’arrêt sur image que l’on peut construire les relations logiques et systématiques qui sont toujours le but de l’analyse » (Réf. 3). Si les mêmes questions peuvent se poser que l’on regarde une image fixe ou une image animée (description, contexte, historicité, etc.), « la différence entre l’arrêt et le mouvement reste qu’une image arrêtée provoque la structuration active du regard du spectateur (sans temporalité imposée), et qu’une image mobile inscrit (obligatoirement) le spectateur dans son espace-temps. » (Réf. 2).
3. Images : réalité ou leurre ?
Il faut également prendre en considération le fait que l’image, fixe ou animée, est toujours une interprétation d’une vision concrète (d’une réalité), limitée par le cadrage, la temporalité, la perception sonore et l’environnement du visionnage. Il n’existe donc pas de reportages objectifs, et c’est le rôle du spectateur ou de l’analyste de procéder à son décryptage pour tenter de comprendre et/ou d’interpréter ce qu’a dit l’auteur.
L’analyse peut aussi aborder le contexte figuré de l’image, sa mise en forme structurale (ou mise en perspective).
Que doit-on comprendre sous ce vocable ?
Mettre en forme structuralement, c’est exposer les dimensions d’un objet (d’une image, dans notre cas), en présenter l’arrière-plan et son contexte, sans oublier le non vu. C’est l’opération que doit faire le photographe ou le cinéaste pour faire dire quelque chose à l’objet qu’il fixe ou à la scène qu’il tourne. La mise en forme structurale est l’application imagée du scénario. Symétriquement, c’est ce que peut découvrir (et comprendre) le spectateur ou l’analyste. Une mauvaise mise en forme, non structurée, non construite ne veut plus rien dire. C’était (et c’est toujours) un des premiers travaux des peintres : tracer les lignes de force d’un tableau, élaborer une géométrie secrète, structurer l’espace en deux dimensions, corriger pour ajuster la perspective géométrique du moment (Réfs. 4-7). Pourquoi ? Pour produire un effet en accord avec le sujet traité.
4. Construction des images animées
Pour le vidéaste, le travail du scénariste est encore plus complexe car chaque plan peut être considéré comme un tableau scénique (terme utilisé pour l’opéra), suivit d’un autre, un film étant une succession de plans qui doivent « harmonieusement » se succéder. La construction de chaque plan étant en deux dimensions, une troisième dimension est introduite : le mouvement, fonction du temps. L’ensemble doit donc obéir à une conception spatiale avec des lignes de force complexes tendant à « focaliser » ou à « développer » une idée, un concept. C’est ce qui prévôt dans le domaine du dessin animé où l’auteur n’est pas tributaire d’un réalisme esthétique imposé par la nature. Il peut, en cas de besoin, en créer de nouveaux, fruits de sa pure imagination. Pour des images prises du réel, les artifices de la mise en scène, du cadrage, de la longueur des plan, des ajustements chromatiques, de la musique, etc. sont autant de moyens pour, toujours efficacement, créer une cohérence et arriver à donner un sens à un film.
Attention, tous ces critères ne sont pas quantifiés, ils dépendent de l’auteur et de l’œuvre, et l’analyste doit en tenir compte, en évitant de formuler des affirmations telles que « il aurait fallu » ou « à sa place, j’aurais fait ceci ». Le respect de l’intention de l’auteur est primordial et tout jugement de valeur n’est que subjectif si des critères précis et objectifs n’ont pas été définis (Réf. 8)
5. L’harmonie
On évoque souvent des images harmonieuses. Quelle en est la définition ? En musique, l’harmonie est l’émission coordonnée de plusieurs sons différents. C’est, en fait, une approche conceptuelle qui étudie la construction des accords. Ceci s’applique aussi bien aux accords sonores que visuels. Dans ce cas, des principes simples sont mis en œuvre : la proximité (l’information doit être concentrée), l’alignement (qui permet au spectateur de suivre une évolution narrative), la répétition (redire pour intensifier), le contraste (mettre en relief et émouvoir), la sobriété (ne pas surcharger l’information de détails inutiles), la temporisation (dire les choses dans un temps donné, concis), l'étonnement parfois comme pour la musique sérielle. (Réf. 9).
« La création artistique relève-t-elle de processus intellectuels et biologiques spécifiques ? » (Réf. 10). La vision d’un artiste est-t-elle perturbée par des pathologies plus ou moins profondes qui génèrent des harmonies particulières pour les formes et les couleurs ? (Réf. 11). L’analyste doit-il en tenir compte ?
6. L’image dématérialisée
L’image numérique, éventuellement partagée, a bousculé les critères d’analyse « pour mieux comprendre la place de l’image fluide – dématérialisée, connectée, partagée – dans l’univers contemporain, avec ses nouvelles fonctions d’expression, de communication ou de socialisation. » (Réf.12). L’arrivée du numérique fut une révolution permettant, non seulement des truquages à la portée de l’amateur éclairé, mais également une souplesse dans l’élaboration du montage, donc de la scénarisation. Rien de plus facile de couper, recoller, transposer, etc. Il s’en est découlé une plus grande exigence de l’analyste, entrainant un travail plus approfondi pour le réalisateur. Cependant, la « Note sur la photographie », sous-titre donné par Roland Barthes à son ouvrage « La Chambre claire » reste toujours d’actualité car il y a toujours un « Operator », celui qui prend l’image, un « Spectator » qui regarde et un « Spectrum », le sujet traité (Réf.13). L’utilisation de l’image numérique souvent techniquement parfaite peut induire une tromperie, la forme masquant le fond parfois d’une pauvreté déroutante, cas de certains films dits à grand spectacle. Pour montrer la potentialité de l’image animée, Barthes ajoutait : « Pourtant le cinéma a un pouvoir qu’à première vue la photographie n’a pas : l’écran (a remarqué Bazin) n’est pas un cadre, mais un cache ; le personnage qui en sort continue à vivre un « champ aveugle » qui double sans cesse la vision partielle. »
C’est peut-être dans « Cinéma, mode d’emploi » (Réf.14) que l’on trouve les meilleurs questionnements sur le cinéma numérique : en quoi change-t-il la fonction du cinéma ? En quoi va-t-il plus profondément dans l’illusion ? Est-ce que cela met en cause le cinéma traditionnel ? Comment l’analyser ?
7. En conclusion
L’image véhiculant toujours des éléments informatifs et des éléments symboliques, les pistes pour aborder l’analyse sont nombreuses. Parmi elles, on peut suggérer diverses tâches (Réf. 15) :
La première est d’envisager la situation : motif, sujet, point de vue narratif.
La seconde est l’observation de l’œuvre :
son architecture (chronologie, progression, parallèles, contrastes, inversions, comparaison entre le début et la fin – donc l’analyse de l’arrêt sur image, dans ce cas, n’a pas de sens).
son rythme (syntaxe, construction des séquences, répétitions, gradations, climax)
son vocabulaire (durée des plans, des séquences, couleurs, son, voix in et voix off, ponctuation, fondus, etc.)
La troisième a trait à la signification (interprétation, attente suscité par le titre, cohérence interne, structure profonde, éventuellement jugement de valeur : le ressentit correspond-il à l’intention ?
Enfin, il y a le commentaire pour évoquer une comparaison avec d’autres œuvres, l’originalité de la réalisation, le caractère novateur de la thématique, le contexte artistique, etc.
Bibliographie
- Chion, Michel, L’audio-vision, Armand Colin, Paris, 2005
- Gervereau, Laurent, Voir, comprendre, analyser les images, La Découverte, Paris, 2000
- Aumont, Jacques, Marie, Michel, L’analyse des films, Armand Colin, 2006
- Hours, Madeleine, Les Secrets des chefs-d’œuvre, R. Laffont, Paris, 1964, 1988
- Lhote, André, Traités du paysage et de la figure, Floury, Paris, 1939, 1950
- Debray, Régis, Vie et mort de l’image, Gallimard, Paris, 1992
- Kandinsky, Vassily, Du spirituel dans l’art, Denoël-Gonthier, Paris, 1989
- Malraux, André, Les Voix du silence, Gallimard, Pari, 1951
- Shapiro, Meyer, Style, artiste et société, Gallimard, Paris, 1982
- Boulez, Pierre, Changeux, Jean-Pierre, Manoury, Philippe, Les neurones enchantés, Odile Jacob, Paris, 2014
- Michel, François-Bernard, Le cerveau de Vincent van Gogh : mélancolie, absinthe, vision des couleurs, Colloque : Maître cerveau sur son homme perché…Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, octobre 2015
- Gunthert André, L’Image partagée. La photographie numérique, Textuel, Paris, 2015
- Barthes, Roland, La Chambre claire, Gallimard, Paris, 1980
- Comolli, Jean-Louis, Sorrel, Vincent, Cinéma, mode d’emploi, Verdier, Paris, 2015
- Goliot-Lété, Anne, Vanoye, Francis, Précis d’analyse filmique, Armand Colin, Paris, 2005
Claude Balny, janvier 2016
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Pascal Bergeron, vice-président de la Fédération Française de Cinéma et de Vidéo nous dit quelques mots sur son souhait de mettre en place un cycle de formations portant sur les étapes qui conduisent à la réalisation d’un film. [EXTRAIT]
[...] Présent aux dernières rencontres de septembre 2014, une nouvelle fois j’ai pu constater la qualité des films présentés. Particularité des productions non professionnelles, plusieurs genres n’existent plus que dans le cinéma non professionnel. Nous trouvons bien évidemment des documentaires, des fictions, des films d’animation mais aucun film minute, aucun film de voyage.
Professionnels Vs amateurs
Je profite de ce texte pour vous donner mon point de vue sur un vif débat qui se tient au sein des clubs : la différence entre amateur et professionnel. Lorsque je vais à un concert, au théâtre, dans une exposition ou au cinéma je suis un spectateur, jamais je me pose la question du parcours de l’auteur ou du créateur. J’écoute une œuvre musicale, j’assiste à un spectacle théâtral, je découvre un artiste, j’admire l’œuvre d’un réalisateur. Le concept d’amateur est trop souvent prétexte à se dédouaner. Peu importe le temps que l’on met à réaliser un film, peu importe le matériel que l’on utilise (plus personne aujourd’hui ne pourrait filmer avec la caméra des frères Lumières et monter sur d’archaïques table de montage). N’existe-t’il pas des festivals de films tournés avec un smartphone ? De mon point de vue, la différence entre les personnes vient de leur statut : professionnel ou non professionnel. Le pro vivant de son art. Le non professionnel ayant pour lui le temps et l’absence d’un producteur qui le tanne ! Le résultat reste le même : le film et le spectateur est en droit d’avoir le même plaisir quelque soit le film visionné.
Pour ma part je n’évoquerai jamais le terme de cinéma amateur qui me semble réducteur, voire méprisant.
Diagnostic et pistes de réflexion
Dans un premier temps je vais vous proposer de nous indiquer vos besoins de formation, la où vous vous sentez le moins à l’aise. Cela va permettre de faire le diagnostique de vos besoins.
Dans un second temps je vais mettre le doigt la où ça fait mal… Nombreux sont les films qui sont trop peu écrits, nombreux sont les films dont le montage manque de rythme, de séquences, d’effets sonores. J’ai constaté que les films sont tous bien voire très bien filmés… mais ils manquent de structure narrative.
De fait, j’ai envie de vous dire :
- Filmer ce que vous entendez … Et d’un seul coup vous enrichirez vos montages en ouvrant vos séquences par un « sonore ».
- Filmer les humains, femmes, hommes, enfants, ils sont encore plus beaux que les paysages extraordinaires que vous traversez.
- Affranchissez- vous de ce que j’appelle le « syndrome Connaissance du Monde ». Oubliez les longs commentaires pour laisser place aux sons directs et posez juste quelques phrases pour faire le lien.
- Laissez tous ces beaux visages croisés vous parler et même si vous ne comprenez pas ce qu’ils disent, leurs paroles sont autant de « musiques originales », d’émotions à l’état brut.
- Fuyez les musiques qui envahissent vos films et privilégiez les sonores réels…
- Faites vous plaisir et considérez que les trois grandes étapes qui constituent un film sont autant de moment où vous réécrivez votre sujet et cela sans le dénaturer !
Ecrivez une première fois sur le papier,
écrivez une seconde fois au tournage et
écrivez une dernière fois au montage.
Ainsi vous construirez vos œuvres loin des bases anciennes qui ont marqué un certain cinéma autodidacte des décennies passées.
Prenons le temps de la réflexion, investissons le plaisir d’écrire, de tourner, de monter. Soyons encore plus exigeant envers nous même et profitons du savoir–faire des uns et des autres.
N’hésitez pas à me faire parvenir vos commentaires, critiques, suggestions, questionnements, dans la mesure de mes moyens j’essaierai de vous porter réponse.
Cinématographiquement Votre.
Pascal Bergeron
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Claude nous parlait de la projection de films expérimentaux lors du festival Cinemed qui vient de se terminer. Apparemment, il n'y a rien vu qui l'ait enthousiasmé, et suggérait qu'on pouvait faire aussi bien sinon mieux, pourvu qu’on se moque ouvertement des lois de la construction cinématographique en général et du scénario en particulier. Bien que d’ordinaire, j’aime à apprendre les ficelles du métier bien fait (et/ou traditionnel), je pense que c’est sûrement une bonne idée de sortir quelques fois de l’Académie, de garder l’esprit curieux de l’inconnu, quitte à se forger une esthétique bien à soi, après avoir vu du « grand n’importe quoi » ; étonné qu’on en parle au Camap, mais, après tout pourquoi pas, allons voir si ce « genre » « expérimental », donc, peut nous aider à construire, essayer, ébaucher, rater peut-être ou sans doute, mais tenter quelque-chose d’autre que le «bien conventionnel qu’on sait faire ».
Histoire de se dégourdir les neurones et, « même pas peur », découvrir ce genre, où trouve t’on de l’Expérimental quand le festival est clos ? Sur Internet, pardi, et sur les bouquets télé z’à la mode, après deux heures du matin. Euréka ! Sur ma box Free, je trouve par hasard une chaîne qui s’appelle « Souvenirs from Earth*». Sûrement, beaucoup d’entre vous connaissent. Qu’est-ce qu’on y voit ? 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, (en boucle), des courts-métrages d'art et création graphique en général et aussi des « z’expérimentaux », peu ou prou. T’en voulais ? En voilà ! Le bonheur, quoi ! ? Renseignements pris, cette chaîne se diffuse également sur le bouquet d’Orange au canal 221, de SFR au canal 183, sur celui de Free donc au canal 211, et bien sûr sur Internet, à http://www.sfe.tv.
Premiers ressentis à chaud de Cobaye N°1
décadent
ésotérique
dépaysant
engagé, mais obscur quelque part
frapadingue
woah ! la poësie, ça délasse ..
casse-cou
expérimental
autiste
rafraichissant
arriéré
sauvage, ça fait rien que mal aux yeux
ah, ça , c'est fort !
décalé (j’l’ai pas dejà dit ?)
fascinant, mais pour faire ça il te faut un PC puissant comme ceux de la Nasa
planant
malade, le mec
j’ai pas déjà rêvé ça ?
oh non, par pitié, pas encore la même chose au ralenti !..
j'ai fumé la moquette ou quoi ?
grand n'importe quoi
beau comme tout
beuark
amusant, non ?
abscons
hermétique
j'ai rien compris, y'a qu'ec chose à comprendre ?
oh, la belle bleue !
comment y font ?
dégueulis de vache saôule
j'voyais pas Mozart comme ça...
contemporain
vermifuge à cochons
ça, par contre c’est de la bonne science-fiction à pas cher
sublime
tu m’réveilles à l'entracte ?
génial
sous titres, s'il vous plait !
tiens, ça me rappelle un reportage sur la vie amoureuse des sardines…
de l'art, de l'art, encore de l'art, bof
ya que des ricains, des tchèques et des teutons , là-dedans ?
c'est assez beau par moments, mais pourquoi se prendre au sérieux avec un tel vide de sens ?
ah, v’la les danseuses nues ..
je trouve ça très beau, mais ça sert à quoi?
chiqué, c'est une perruque !
sculptural
suivant !
effets spéciaux .. «spéciaux»!
je sais pas vraiment pourquoi, mais j'aime bien, en fait !
*Explications sur le site sfe.tv au sujet du titre : […] comme le capitaine Kirk aurait pu le dire: «Nous recueillons des aperçus de la vie de tous les jours,« souvenirs de la terre », pour être utilisé dans un avenir plus sombre par un couple de personnes qui aurait échappé à notre planète avant son effondrement." Cette hypothèse peut nous permettre d'obtenir une meilleure vue sur les choses simples de notre vie, générant une prise de conscience mondiale de la grâce et de la fragilité de notre vie sur la planète Terre.
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(suite à l'article de Jean-Claude)
Documentaire ou fiction ? (catégorie filmique)
- Documentaire : est la représentation d'une réalité, une réalité qui s'oppose à la fiction
- Fiction : est une histoire fondée sur des faits imaginaires plutôt que sur des faits réels qui s'autorise de créer la réalité par le biais, le plus souvent, d'une narration qui agit pouren produire l'illusion.
Une telle définition n'est toutefois pas stricte car un documentaire peut recouper certaines caractéristiques de la fiction, notamment via la reconstitution comme le docufiction ou à travers la réflexion en amont sur le sujet, qui peut donner lieu à un scénario plus ou moins élaboré.
De même, le tournage d'un documentaire influe sur la réalité qu'il filme et la guide parfois, rendant donc illusoire la distance théorique entre la réalité filmé et le documentariste.
Le documentaire se distingue aussi du reportage. Il est parfois très difficile de faire la distinction entre un reportage et un documentaire. Le reportage est d'abord un compte rendu d'événements auxquels assiste le journaliste
Docufiction ou documentaire-fiction, (parfois désignée comme docudrama) est un mot-valise qui se rapporte à une oeuvre de cinéma, de radio ou de télévision, à mi-chemin entre les deux Documentaire et fiction.
Donc pour m'y retrouver j'opte pour DOCUFICTION
Léon
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L'autre jour j'ai entendu par hasard une émission de radio comparant fiction et documentaire.
Peu à peu, au fil des interventions, il ressortait que ce n'était pas aussi évident de classer un film dans l'une ou l'autre catégorie.
De nombreuses fictions sont en effet inspirées par des faits réels qui sont scénarisés.
Films historiques ou à partir de faits divers, les exemples sont nombreux. Un genre a même été inventé : les docus fiction...
Quant aux documentaires, aucun n'est une simple transcription de la réalité.
Il y a le tri des séquences, le montage, la sonorisation tout choix qui sont le fait de l'auteur et fonction de l'idée qu'il veut faire passer.
Agnès Varda a d'ailleurs titré l'un de ses films « Documenteurs ».
La conclusion de cette intéressante émission m'a paru évidente et à méditer
« Tout film est une création »
Alors, fiction ou documentaire, créez amis vidéastes, créez...
Jean Claude.
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Le 31 janvier dernier, ARTE a diffusé un documentaire inédit d'une heure (à 22 heures) sur la danse contemporaine : « Danser Ravel et Debussy » de Thierry de Mey.
Je ne sais si cette émission est encore postcastable, mais il me semble que c'est un excellent exemple de mise en images de la danse (pour, évidemment, celles et ceux qui ne sont pas rebutés par ces approches novatrices expérimentales..)
Si j'ai bien compris, c'était une commande : il fallait chorégraphier - pour faire un film - trois pièces dans trois décors naturels : une forêt, une mer asséchée, un ciel bleu, sur des partitions de Ravel et de Debussy. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c'est que ces compositions ont comme finalité affichée d'être obligatoirement diffusée sous forme de film et non pas sous forme de spectacle vivant filmé comme c'est généralement le cas. Les obligations de création sont donc multiples : chorégraphie, musique romantique, décors naturels, film pour une diffusion du spectacle essentiellement sous forme de film
Nous avons souvent évoqué les difficultés qu'il y a à correctement filmer un spectacle ne disposant pas des moyens techniques de la télévision.
Il est évident qu'il ne s'agissait pas de simplement filmer les danseurs dans leurs décors et de faire un montage cut. Les thèmes musicaux étaient, à mon avis, peu dansants, les décors peu sophistiqués mais dépouillés, la chorégraphie elle-même classique, d'où l'obligation de trouver des astuces de montage pour valoriser l'ensemble. C'est ce qui a été fait avec un logiciel du type de ceux que nous utilisons, Studio par exemple.
Dans la première chorégraphie, il s'agit de suivre plusieurs danseurs (une soixantaine en costume du type « hardes ») qui évolue dans une forêt avec une musique de Ravel : « Ma mère l'Oye »). Pour donner du « relief », le film a été monté d'une manière non conventionnelle. Presque systématiquement, le format des images est changé à chaque plan :
- pour cadrer un danseur : format carré, soit plein écran, soit écran réduit,
- pour évoquer une fuite, format 16/9 allongé : début de séquence danseur à gauche, sa taille étant ajustée à la hauteur de l'écran, fin de séquence, danseur à droite de lâécran, très petite taille. Ces effets ne sont pas des effets de prise de vue, mais des effets de montage,
- pour dynamiser un danseur (ou un groupe de danseurs), selon l'intensité recherchée, l'écran 16/9 allongé est, soit coupé soit en deux (split), soit en trois. Il m'a semblé que c'étaient souvent, mais pas exclusivement, deux ou trois fois les mêmes images (en parallèle donc), mais décalées dans le temps (de quelques fractions de secondes à quelques secondes), et ce d'une manière non systématique. Par exemple, l'image de gauche est en avance sur celle du milieu, elle-même en avance sur celle de droite, alors que, quelques secondes après, c'est l'inverse. Il en résulte une dynamique toute particulière, impossible à retranscrire d'une autre manière que par le montage. C'est donc un exemple dans lequel le montage participe pleinement à l'acte créatif : ce n'est plus simplement une aide à la création.
Ce parti pris n'est pas toujours apprécié : « Un bémol : l'utilisation systématique des split screens qui fouette le rythme mais segmente le mouvement au risque de le vider de toute sensation. » (R. Boisseau, Télérama, 26/01/2011).
La seconde chorégraphie sur le « Prélude à l'après-midi d'un faune » de Debussy (que l'on peut pompeusement appeler performance), est l'histoire d'un couple que se forme et de défait (se déchire ?) dans le décor plat d'une mer desséchée (à mon avis, c'est plutôt un désert car à la fin de cette danse, des collines apparaissaient). Le couple de danseur est habillé de la même façon : pantalon flottant couleur sable, torse et pieds nus. Il faudrait revoir le ballet pour une analyse objective, mais une des astuces de montage qui m'a frappée est celle de la superposition d'images des deux danseurs qui, habillés pareillement, de même taille et évoluant dans un paysage plat, se confondent. On ne sait plus qui est qui, intéressant pour traiter le sujet de la formation et de la rupture d'un couple avec ses aléas et ses va-et-vient.
Cependant, « Entre film expérimental et fiction chorégraphique, c'est l'enjeu formel et les effets de surface qui finissent par l'emporter sur la profondeur intime. » (R. Boisseau, Télérama, 26/01/2011).
Je ne vous parlerai pas de la troisième chorégraphie, celle sur un décor de ciel bleu, je me suis endormi...
Claude BALNY
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Notre site est né, il ne demande qu'à progresser et rester toujours jeune. Notre Président l'annonce parfaitement dans ce premier article sur la naissance de la vidéo ; Il nous rappelle des éléments de base : nous travaillons sur l'image en mouvement, il nous est souvent difficile de donner pleinement son sens à nos réalisations.
Ensemble continuons de partager nos expériences.
Léon
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C'est une évidence, le vidéaste est confronté à la captation et au travail de l'image, mais tout comme le cinéaste, pas exclusivement. Le son (au sens large du terme : son capté et son ajouté), souvent négligé, a une importance primordiale. Le vidéaste utilise maintenant les images numériques, tout comme la photographie contemporaine. Mais, les images photographiques sont inanimées, silencieuses, intemporalisées. Alors que la photographie vise à arrêter le défilement du temps et à figer une représentation comme le faisait la peinture figurative, la vidéo et le cinéma « accompagne le mouvement du monde ». C'est parce que le cinéma nous aide à voir le monde - notre propre vision étant souvent jalonnée par la culture et usée par l'habitude - qu'il a acquis ses lettres de noblesse en devenant le 7ème art. Peut-on parler d'art vidéo, différent de l'art cinématographique ?
Quelle différence y a-t-il entre les deux ? Ont-ils le même impact émotionnel et sensoriel sur le spectateur ?
Cela dépend peut-être du mode de vision : au cinéma, nous sommes dans une salle obscure, concentrés sur le déroulement des images où les personnages sont grands, ce sont des géants qui nous dominent. En règle générale, la vidéo se regarde sur un écran numérique, dans un environnement qui n'est pas toujours obscur, on visionne en famille, avec des amis, on parle durant la projection, on échange, c'est-à -dire que l'on est moins concentré, et cette fois, c'est le spectateur qui est plus grand que les personnages qu'il visionne : il les domine. C'est aussi la technique qui fait la différence par le traitement numérique des images qui offre des possibilités nouvelles. Les créateurs ont eu tout à fait conscience de ces différences, à telle enseigne qu'ils ont cherché à utiliser ce nouveau média comme moyen d'expression original, indépendant du cinéma. Même si l'on ne parle pas encore de 8ème art pour caractériser la vidéo, ces recherches ont données naissance à l'art vidéo. Les débuts furent difficiles, mais, sous l'impulsion d'artistes comme Nam June Paik ou Bruce Nauman, ce nouveau mode d'expression est né en 1963. A l'époque, il était impossible de dissocier la visualisation d'images vidéo de la télévision, car le support visuel était le même : le tube cathodique.
Quand est-il maintenant ? L'image est vue soit sur un écran plat, soit projetée, comme au cinéma. Les mini caméras et les téléphones portables permettent d'enregistrer une quantité d'images impressionnantes d'excellente qualité attirant d'une manière exponentielle des « créateurs » qui diffusent leurs productions (souvent des rushs « bruts ») via des serveurs spécifiques comme Dalymotion ou Youtube. Mais est-ce de l'art ?
Nous, vidéastes amateurs du CAMAP, devions nous rester à ne rien faire, nous qui « travaillons » les images et les sons pour tenter de « dire quelque chose » ? Depuis plusieurs mois, nous avions pensé à un site internet, occasion de montrer nos images à un plus grand nombre et d'offrir la possibilité d'interagir avec elles. Ambition utopique ? Grâce à quelques uns d'entre nous, le CAMAP, après 9 mois de gestation a donné naissance à son site. Si la gestation fut parfois douloureuse, la naissance s'est bien passée. Maintenant, il faut nourrir ce site, le faire grandir, lui apporter tous les soins nécessaires, le guérir s'il est malade, et l'ouvrir au monde. Son enfance et son adolescence prendront du temps et il n'atteindra peut-être jamais sa maturité, c'est-à -dire qu'il restera jeune, tout comme nous, vidéastes souvent enthousiastes et naïfs.
Ce site, tout comme nos vidéos, contribuera peut être, très modestement, à rendre visible la continuité invisible du monde.
Claude BALNY.