Le 31 janvier dernier, ARTE a diffusé un documentaire inédit d'une heure (à 22 heures) sur la danse contemporaine : « Danser Ravel et Debussy » de Thierry de Mey.
Je ne sais si cette émission est encore postcastable, mais il me semble que c'est un excellent exemple de mise en images de la danse (pour, évidemment, celles et ceux qui ne sont pas rebutés par ces approches novatrices expérimentales..)
Si j'ai bien compris, c'était une commande : il fallait chorégraphier - pour faire un film - trois pièces dans trois décors naturels : une forêt, une mer asséchée, un ciel bleu, sur des partitions de Ravel et de Debussy. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c'est que ces compositions ont comme finalité affichée d'être obligatoirement diffusée sous forme de film et non pas sous forme de spectacle vivant filmé comme c'est généralement le cas. Les obligations de création sont donc multiples : chorégraphie, musique romantique, décors naturels, film pour une diffusion du spectacle essentiellement sous forme de film
Nous avons souvent évoqué les difficultés qu'il y a à correctement filmer un spectacle ne disposant pas des moyens techniques de la télévision.
Il est évident qu'il ne s'agissait pas de simplement filmer les danseurs dans leurs décors et de faire un montage cut. Les thèmes musicaux étaient, à mon avis, peu dansants, les décors peu sophistiqués mais dépouillés, la chorégraphie elle-même classique, d'où l'obligation de trouver des astuces de montage pour valoriser l'ensemble. C'est ce qui a été fait avec un logiciel du type de ceux que nous utilisons, Studio par exemple.
Dans la première chorégraphie, il s'agit de suivre plusieurs danseurs (une soixantaine en costume du type « hardes ») qui évolue dans une forêt avec une musique de Ravel : « Ma mère l'Oye »). Pour donner du « relief », le film a été monté d'une manière non conventionnelle. Presque systématiquement, le format des images est changé à chaque plan :
- pour cadrer un danseur : format carré, soit plein écran, soit écran réduit,
- pour évoquer une fuite, format 16/9 allongé : début de séquence danseur à gauche, sa taille étant ajustée à la hauteur de l'écran, fin de séquence, danseur à droite de lâécran, très petite taille. Ces effets ne sont pas des effets de prise de vue, mais des effets de montage,
- pour dynamiser un danseur (ou un groupe de danseurs), selon l'intensité recherchée, l'écran 16/9 allongé est, soit coupé soit en deux (split), soit en trois. Il m'a semblé que c'étaient souvent, mais pas exclusivement, deux ou trois fois les mêmes images (en parallèle donc), mais décalées dans le temps (de quelques fractions de secondes à quelques secondes), et ce d'une manière non systématique. Par exemple, l'image de gauche est en avance sur celle du milieu, elle-même en avance sur celle de droite, alors que, quelques secondes après, c'est l'inverse. Il en résulte une dynamique toute particulière, impossible à retranscrire d'une autre manière que par le montage. C'est donc un exemple dans lequel le montage participe pleinement à l'acte créatif : ce n'est plus simplement une aide à la création.
Ce parti pris n'est pas toujours apprécié : « Un bémol : l'utilisation systématique des split screens qui fouette le rythme mais segmente le mouvement au risque de le vider de toute sensation. » (R. Boisseau, Télérama, 26/01/2011).
La seconde chorégraphie sur le « Prélude à l'après-midi d'un faune » de Debussy (que l'on peut pompeusement appeler performance), est l'histoire d'un couple que se forme et de défait (se déchire ?) dans le décor plat d'une mer desséchée (à mon avis, c'est plutôt un désert car à la fin de cette danse, des collines apparaissaient). Le couple de danseur est habillé de la même façon : pantalon flottant couleur sable, torse et pieds nus. Il faudrait revoir le ballet pour une analyse objective, mais une des astuces de montage qui m'a frappée est celle de la superposition d'images des deux danseurs qui, habillés pareillement, de même taille et évoluant dans un paysage plat, se confondent. On ne sait plus qui est qui, intéressant pour traiter le sujet de la formation et de la rupture d'un couple avec ses aléas et ses va-et-vient.
Cependant, « Entre film expérimental et fiction chorégraphique, c'est l'enjeu formel et les effets de surface qui finissent par l'emporter sur la profondeur intime. » (R. Boisseau, Télérama, 26/01/2011).
Je ne vous parlerai pas de la troisième chorégraphie, celle sur un décor de ciel bleu, je me suis endormi...
Claude BALNY